Le projet d’Atlas sonore du français de Suisse romande est né d’un double constat : d’une part, le français parlé en Romandie présente de nombreuses singularités par rapport à la francophonie européenne ; d’autre part, aucun atlas sonore accessible au grand public n’existait pour rendre compte de ces particularités. D’où l’envie de créer le premier projet du genre, regroupant les données de 350 locuteurs romands pour plus de 250 cartes interactives.
Au départ, une enquête d’envergure
Pour constituer l’Atlas sonore du français de Suisse romande, nous utilisons des enregistrements effectués par les équipes de l’Institut des sciences du langage de l’Université de Neuchâtel depuis près de vingt ans. Une immense partie de ces données n’avait jusqu’à présent jamais été exploitée, sinon pour des travaux scientifiques ponctuels. Le protocole de récolte des données est resté inchangé tout au long des années : les participants sont amenés à lire trois listes de mots, établies pour étudier la diversité de prononciation des francophones. Initialement développées par Jacques Durand et ses collègues (2009), puis complétées pour la Suisse romande par Isabelle Racine et Helene Andreassen (2012), ces listes cherchent à documenter des phénomènes tels que la différence entre pâte et patte, ou encore la prononciation de foot. Pourquoi ces mots-là ? Parce qu’ils contiennent tous a minima un élément susceptible de varier au sein de l’espace romand. La voyelle de foot, par exemple, peut y être prononcée « ou », comme en anglais ; dans certaines régions, on peut en revanche entendre « o » : foot (« fotte ») rime alors avec botte.
Parallèlement aux listes précédemment citées, le projet ASR exploite les données récoltées via l’application Dis voir. Il s’agit d’une app dédiée à la documentation du français romand, à travers un blog et des activités ludiques. Le projet a reçu le soutien du programme Agora FNS, un programme qui promeut de projets académiques à destination du grand public.
Mais pour quoi faire ?
Pourquoi constituer un atlas sonore du français de Suisse romande ? Au-delà de l’intérêt, pour la recherche en linguistique, de « photographier » les parlers romands du premier quart du XXIe siècle, le projet ASR offre l’opportunité de valoriser et célébrer le français parlé en Suisse. Et ça, ça revêt une importance de premier ordre : jusqu’à récemment, les Romands ont intériorisé le fait que leur parler était prétendument moins bon, moins pur que le français de France, en particulier celui de Paris (voir par exemple Singy 1996). Fort heureusement, les mentalités changent, et nombre de locuteurs estiment désormais que diversité ne rime pas avec impureté. Mais les idées fixes, notamment sur la langue, ont la vie dure, et la glottophobie (la stigmatisation subie par une personne en raison de la façon dont elle parle, voir Blanchet 2016) reste prégnante dans l’ensemble de la francophonie, y compris en Suisse. De plus, au point de vue didactique, l’ASR peut tout à fait être utilisé pour enrichir l’enseignement du français, tant comme langue maternelle que langue seconde, notamment pour
Références :
Blanchet, P. (2016). Discriminations : combattre la glottophobie. Paris : Éditions Textuel.
Durand, J., Laks, B. & Lyche, C. (2009). Phonologie, variation et accents du français. Paris : Hermes
Racine, I. & Andreassen, H. (2012). A phonological study of a Swiss French variety : data from the Canton of Neuchâtel, in R. Gess, C. Lyche & T. Meisenburg (eds), Phonological variation in French : Illustrations from three continents. Amsterdam : John Benjamins, 173-207.
Singy, P. (1996). L’image du français en Suisse romande. Une enquête sociolinguistique en Pays de Vaud. Paris : L’Harmattan.
